Vue ici même il y a deux ans, cette magnifique production de Bob Wilson revient à Paris, avec un casting de bien meilleure qualité qu’en 2021. Cette mise en scène est définitivement remarquable. Totalement épurée, dans le style caractéristique de Wilson, elle se démarque de ce que l’on voit habituellement par son esthétisme d’une grande pureté. La scène, quasiment dénuée de décors, est utilisée sur toute son horizontalité pour faire défiler les tableaux qui nous réjouiront l’œil. La gestuelle des nombreux protagonistes sur scène est très minimaliste, souvent empruntée au théâtre Nô, finissant systématiquement sur des postures figées. Soutenue par une mise en lumière exceptionnelle, où bleu et rouge prédominent, certains tableaux sont saisissants – il en va ainsi par exemple de la première apparition de Turandot sur son promontoire, toute de rouge vêtue, couleur du sang qu’elle aura tant fait verser à ses prétendants. Les choristes sont dans l’ombre, en clair-obscur quand les poursuites illuminent les solistes au cours de leurs interventions. Cette proposition plutôt statique permet aux artistes de se focaliser sur le chant, et le résultat est plus que probant. Mika Kares est un Timur à la basse profonde et au phrasé précis. Les 3 ministres (Florent Mbia, Maciej Kwasnikowski et Nicholas Jones) apportent de la fantaisie sur scène, virevoltant et bondissant mais également dotés d’instruments puissants qui empliront la vaste enceinte de Bastille. Brian Jagde campe un Calaf légèrement emprunté mais à la voix exceptionnelle. Le timbre est pur, la ligne de chant très rectiligne et l’aigu surpuissant. Son très attendu « Nessum dorma » lui vaudra une belle ovation. Ermonella Jaho incarne une Liù déchirante. La soprano Albanaise nous offre une nouvelle fois ses aigus cristallins absolument sublimes dans les pianissimo, et son vibrato si caractéristique. Ses deux grands airs auront été des moments forts de la soirée. Finalement, seule Irène Theorin dans le rôle-titre nous laisse sur notre faim. Certes, les aigus sont là et elle passe encore aisément ses contre-uts. Mais ils restent trop tendus, voire forcés et les légato sont parfois déficients. Nous aurions préféré Radvanoski qui était initialement prévue pour ce rôle. Enfin, les chœurs sont une des autres grandes réussites de la soirée. Réglés au cordeau, d’une précision infaillible, ils nous transportent à chacune de leurs (nombreuses) interventions. Et comme à la baguette le jeune chef Michele Spotti conduit parfaitement l’orchestre de l’Opéra de Paris, avec rigueur et prenant soin de respecter l’harmonie entre la scène et la fosse, la réussite de cette soirée aura été quasiment totale. Transporté, le public aura décerné une longue et méritée standing ovation aux artistes au moment des saluts.
Turandot,
Dramma lirico en trois actes et cinq tableaux
D’après Carlo Gozzi La Fiaba cinese teatrale tragicomica
Musique : Giacomo Puccini (1858 -1924)
Livret : Giuseppe Adami et Renato Simoni
Michele Spotti, direction musicale
Ching-Lien Wu, cheffe des choeurs
Robert Wilson mise en scène
Nicola Panzer, co-mise en scène
Robert Wilson, décors et lumières
Stephanie Engeln, décors
John Torres, lumières
Jacques Reynaud, costumes
Manu Halligan, maquillage
Tomek Jeziorski, vidéo
José Enrique Macián, dramaturgie
Irène Théorin, Turandot
Brian Jagde, Calaf
Ermonela Jaho, Liù
Carlo Bosi, Altoum
Mika Kares, basso, Timur
Florent Mbia, Ping
Maciej Kwaśnikowski, Pang
Nicholas Jones, Pong
Guilhem Worms, un mandarino
Hyun-jong Roh, il Principe di Persia
Pranvera Lehnert et Izabella Wnorowska Pluchart, due ancelle
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris
Maîtrise des Hauts-de-Seine / Chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris
Une coproduction avec le Teatro Real, Madrid, le Lithuanian National Opera and Ballet Theatre, Vilnius, la Canadian Opera Company, Toronto, le Houston Grand Opera, Houston
Paris, Opéra Bastille – Soirée du mercredi 29 novembre 2023, 19:30