Je revois quatre ans après cette ancienne production d’un des chefs-d’œuvre du maitre allemand par le duo Peter Sellars-Bill Viola à Paris. Dans cette mise en scène totalement statique et dénuée de tout décor et accessoire, ce sont principalement les vidéos de Viola qui attirent le regard tout au long du (long) spectacle. Toujours esthétiques, parfois sophistiqués, ces films projetés en continu illustrent le propos de l’intrigue et les sentiments des protagonistes. Le thème de l’eau est omniprésent (qui purifie les deux amoureux, les submerge ou les noie) tout comme celui du feu qui les consume. Pas toujours très lisible, ces vidéos n’en demeurent pas moins intéressantes et même souvent captivantes. Alors que sur scène, l’action est d’un immobilisme total : on se croirait dans une version de concert. Dans un cadre crépusculaire, les chanteurs viennent un à un déclamer leurs airs dans des postures parfois convenues, avec une gestuelle très minimaliste. Il s’agit ainsi d’une proposition très intériorisée. Mais qui n’est pas si mal, si tant est que l’on puisse avoir des artistes à la hauteur. Et ce soir, c’est plutôt une déception ! Certes, les rôles secondaires sont assurés par un casting d’excellente qualité : on retient particulièrement la Brangane d’Okka Von Der Damerau imposante mezzo à la portée puissante et au timbre chaud. Dans le rôle du roi Marke, Eric Owens en impose tant par sa posture que par sa voix de basse profonde et bien posée. Son air principal du 3ème acte est magnifique et lui vaudra aux saluts une chaleureuses ovation. Enfin Ryan Speedo Green campe un Kurwenal dynamique aux moyens vocaux puissants, et dont l’engagement auprès de son Prince Tristan est émouvant. En revanche, les deux rôles titres posent question. Michael Weinius est un Tristan apathique. Certes le rôle est exigeant mais la projection de sa voix est un peu limitée. La palette est large et le timbre délicat mais sa voix se retrouve à plusieurs reprises couverte par l’orchestre et semble s’émousser au fil du spectacle. Quant à Mary Elisabeth Williams en Isolde, et dont c’est la première apparition à Paris, on se demande pourquoi elle a été retenue pour un rôle wagnérien de cette ampleur. Certes la puissance vocale est là, mais ses aigus sont bien trop poussés et laissent entendre un son nasillard déplaisant. Les legato sont très incertains mais on peut lui reconnaitre une meilleure aisance dans les piani. Le merveilleux final est ainsi gâché : normalement chanté tout en délicatesse et douceur, il est ce soir passé en force en en interdisant l’émotion qu’il est censé susciter. C’est dommage ! D’autant que nous avons dans la fosse un orchestre en grande forme, formidablement dirigé par Gustavo Dudamel qui sait apporter les nuances requises par la partition (même si à quelques reprises il s’emballe un peu, allant couvrir les voix des solistes). Tous les pupitres sont mis à l’honneur et on retiendra de sublimes solos de bois et cuivres. Il sera le grand triomphateur de la soirée, longuement applaudie par une enceinte archicomble qui semble malgré tout avoir appréciée ces 5h30 de spectacle !
Tristan und Isolde
Richard Wagner
Opéra National de Paris | Paris, Opéra Bastille – Mercredi 1er février 2023 | 18:00
Conductor : Gustavo Dudamel
Stage director : Peter Sellars
Video designer : Bill Viola
Costume designer : Martin Pakledinaz
Lighting designer : James F Ingalls
Chorus master : Alessandro Di Stefano
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Tristan : Michael Weinius
König Marke : Eric Owens
Isolde : Mary Elizabeth Williams
Kurwenal : Ryan Speedo Green
Melot : Neal Cooper
Brangäne : Okka von der Damerau
Ein Hirt : Maciej Kwaśnikowski
Ein Steuerman : Tomasz Kumiega
Orchestre de l´Opéra national de Paris