C’est avec curiosité que nous assistons à la création française du chef-d’œuvre de Luis Bunuel (dernier film de sa période mexicaine) composé et adapté par Thomas Adès et mis en scène par Calixto Bieito. Et c’est peu dire que nous ne sommes pas déçus de ce spectacle, assez fidèle – hormis le final – au film du maître du fantastique espagnol, qui nous plonge d’emblée dans une atmosphère surréaliste et oppressante. A l’issue d’une soirée à l’opéra, les Nobile invitent à souper une douzaine de convives de la haute et bourgeoise société mexicaine. Par un sortilège inexpliqué, ces convives se trouvent dans l’impossibilité de quitter le salon et au fil des jours, harassés, affamés et terrorisés laissent émerger leurs plus vils instincts primaires et bestiaux. Le décor est somptueux, vaste salon blanc immaculé d’où ressortent les couleurs chatoyantes des robes de soirée et le rouge carmin des fauteuils de réception. La mes est dynamique, rapidement l’atmosphère se tend, les costumes comme les masques tombent les uns après les autres. Vilénie, bassesse et sexualité débridée l’emportent, personne – en dépit des quelques tentatives du docteur – n’étant capable d’imprimer un leadership pour un semblant d’organisation et sortir cette société du comportement grégaire qui la caractérise. Le climat devient suffoquant, et le spectacle réjouissant ! Il faut dire qu’il est porté par un casting de grande qualité, fait de solistes qui assurent leurs rôles avec brio tant scéniquement que vocalement. Difficile d’en ressortir des individualités, mais on retiendra l’éblouissante prestation de Jacquelyn Stucker en Lucia de Nobile, maitresse de maison parfaite se révélant hystérique et nymphomane. Les aigus sont d’une puissance rare, avec un timbre précis et net dans le medium-grave. Son mari Nicky Spence dispose également de moyens puissants et d’un sens de la scène remarquable. De même en Leticia, la chanteuse d’opéra invitée à la réception, nous découvrons Gloria Tronel qui excelle dans le registre suraigu et s’avère émouvante dans l’air que lui demandent de chanter les convives au troisième acte. Citons également Hilary Summers, qui d’emblée opère un transfert psychanalytique sur son docteur en le violant quasiment et dont la tessiture grave et moelleuse flatte l’ouïe tout au long de la soirée. Avec des figures plus connues, de Paul Gay à Frederic Antoun, le casting est donc sans faille et se présente aux saluts à l’unisson. Les chœurs sont invisibles, chantant du haut du balcon, mais excellents comme d’habitude à Paris, et c’est Thomas Adès lui-même qui dirige l’orchestre de l’ONP, sur sa propre partition donc dont émergent cloches, percussions, guitares et piano. Un spectacle noir et fascinant qui enthousiasme le public à l’issue de ces deux heures intenses et sans temps mort.
The Exterminating Angel
Opera en trois actes (2016)
Thomas Adès
D’après le film éponyme de Luis Buñuel
Direction d’orchestre : Thomas Adès
Mise en scène : Calixto Bieito
Distribution
Lucía : jacquelyn stucker, soprano
Leticia : Gina Gloria Tronel
Leonora : Hilary Summers
Silvia : Claudia Boyle
Blanca : Christine Rice
Beatriz : Amina Edris-Pati
Nobile : Nicky Spence
Raúl : Frédéric Antoun
Colonel : Jarrett Ott
Francisco : Anthony Roth Costanzo
Eduardo : Filipe Manu
Russell : Philippe Sly
Roc : Paul Gay
Doctor : Clive Bayley
Julio : Thomas Faulkner
Lucas : Julien Henric
Enrique : Nicholas Jones
Pablo : Andres Cascante
Meni : Ilanah Lobel-Torres, Soprano
Camila : Bethany Horak Hallett
Padre : Régis Mengus
Équipe artistique
Direction de choeur : Chin-Lien Wu
Décors : Anna Sofia Kirsh
Costumes : Ingo Krügler
Lumières : Reinhard Traub
Dramaturgie : Bettina Auer
Orchestre de l’Opéra national de Paris
Chœurs de l’Opéra national de Paris
Production : Opéra national de Paris
Soirée du jeudi 29 février 2024 – Première