Et si le chanteur avait tort ? Si les gens qui s’aiment n’étaient pas tous pareils ? Regardez Brahms et Schumann : l’élève et le maître, le génie et le prophète, l’aigle descendu des sommets et le poète saisi par les anges ! On me vantait depuis longtemps la belle complémentarité et l’heureuse complicité de Nathanaël Gouin et Raphaël Sévère. Écoutés séparément, je les entendais ce dimanche ensemble, pour la première fois. Ce fut saisissant. L’amitié qui unit Schumann et Brahms tisse le fil de leur programme. Leur Fantaisie op. 73 nous dit mieux que des mots l’émotion et l’exaltation de Schumann. Mélancolie et enthousiasme se suivent, s’enlacent et se marient imposant dès cette première oeuvre une belle énergie, le goût d’activer les pôles et l’art de les aimanter. La rêverie des Scènes d’Enfant nous ouvre un monde intérieur où le souffle épouse l’esprit. La sonate pour violon et piano op. 105 est disait son créateur à l’archet, “le reflet le plus fidèle de l’âme de son compositeur”. Transcrite – la partition dépliée sur scène est encore toute chaude – pour clarinette par Raphaël Sévère ce reflet étend encore sa palette et prolonge sa portée. Le relief nous pénètre, l’air se fait grâce. Le court intermède permet à Brahms de s’inviter pour la suite du programme, le piano solo prolongeant le repos du clarinettiste après sa sonate. Solitaire donc, intime et serein, on comprend l’émoi de Schumann devant son jeune confrère. Nathanaël Gouin nous conduit là où plane le génie avec la force et la légèreté qui conviennent et ravissent le public. Comme le parfum qui gonfle nos coeurs, le rythme nous prend et ne nous lâche plus. Dans ces oeuvres de maturité, le sommet atteint est un pic de virtuosité sans effet superflu ni le moindre faux pas. L’opus 120 n°2, ultime signature de Brahms pour sa musique de chambre, tire un feu d’artifice profond et chaleureux allumé par deux compères savants, complices et facétieux. Poulenc en bis nous redit aussi toute leur maturité, humble, sensible et généreuse. Un régal qui profite comme tout ce concert de l’accoustique idéale de la salle, nette et présente. Une salle pleine à craquer pour un duo qui mérite que le code des musiciens s’enrichisse un jour d’un arrêt Gouin-Sévère. Un arrêt qui enfin imposerait le droit à la différence entre les deux membres d’un même duo. Car cette différence si bien conjuguée nourrit notre amour de la musique et des musiciens. Et notre imagination.
Raphaël Severe clarinette et Nathanaël Gouin Pianiste
Programme Robert Schumann Fantasiestücke pour clarinette et piano Op. 73, Scènes d’Enfants Op. 15 Traümerei (Rêveri), Sonate pour violon et piano n° 1 la mineur op. 105
Johannes Brahms Intermezzo Op. 117 n°1 , Op. 76 n°1, Sonate pour clarinette et piano en mi b maj. Op. 120 n°2
Dimanche 27 novembre 2022, Auditorium Chanorier Croissy-sur-Seine