Dernière ce soir de cette production de Deborah Warner, totalement aboutie tant scéniquement que sur les plans musicaux et lyriques. L’intrigue nous plonge au cœur d’une communauté de pêcheurs d’un bourg côtier, vivant au rythme de la mer et qui va mettre au banc l’un d’entre eux (Peter Grimes), soupçonné d’être à l’origine de la mort d’un jeune apprenti pêcheur. Au fil de la pièce le rejet de Peter par ses congénères s’amplifie dans une escalade de haine sordide – thème en résonance avec nos phénomènes sociaux actuels allant du harcèlement à la mise à l’écart d’un individu par le reste du groupe. La mes de Warner est très réaliste – oniriques en certains endroits – avec des décors des différents tableaux rendant magnifiquement le cadre ardu et austère de ce village, fragile devant les éléments et en proie aux tempêtes et glissements de terrain. Le casting est remarquable avec des seconds rôles investis dont on ressortira les aguichantes Anna-Sophie Neher et Ilanah Lobel-Torres, les deux « nièces » d’Auntie, filles de joie de la taverne et objet de fantasme de la gente masculine de la communauté. Simon Keenlyside campe un captain Balstrode bienveillant d’abord mais qui n’hésitera pas à conduire Peter au suicide par noyade par la suite. Le timbre est profond et la ligne de chant très droite, sa posture dégage une autorité naturelle. Maria Bengtsson incarne une Ellen fragile et douce, qui seule contre tous cherchera à défendre et protéger Peter. La voix est cristalline, les aigus délicats et les pianis subtils. Il lui manque de l’amplitude vocale pour que sa prestation soit incontestable mais elle sera chaudement applaudie aux saluts. Quant à Allan Clayton dans le rôle-titre, sa première apparition à Paris laissera un souvenir inoubliable. Scéniquement parfait, tantôt ange tantôt ogre, son incarnation d’un homme rustre, rude, amoureux, dépassé et accablé par les événements tragiques qu’il affronte est splendide. Vocalement, on s’approche de la perfection : puissamment projetée, la voix passe aisément d’un spectre à l’autre de la tessiture. Le médium regorge de couleurs, les pianis d’une absolue délicatesse. Son long monologue a cappella au troisième saisit tout le public. Ses duos avec Ellen sont également magnifiques, dans un registre passant brutalement d’une délicate langueur à une rage farouche. Son Peter Grimes restera certainement une référence. Dans la fosse, superbe direction d’Alexander Soddy, à la fois sobre et énergique. Les interludes musicaux entre les tableaux mettent en avant une partition magnifique où la musique est en résonance avec les éléments naturels (pluie-orages-tempêtes) de l’intrigue. Les bois (flûtes et picolos en particulier) sont à l’honneur. Avec des chœurs parfaitement en harmonie avec les solistes et l’orchestre, la soirée est une grande réussite et le spectacle longuement acclamé par une salle conquise.
Peter Grimes
Opéra en un prologue et trois actes (1945)
Musique : Benjamin Britten
Livret : Montagu Slater
D’après : George Crabe The Borough
Direction d’orchestre : Alexander Soddy
Mise en scène : Deborah Warner
Direction de choeur : Chin-Lien Wu
Décors : Michael Levine
Lumières : Peter Mumford
Video : Justin Nardella
Chorégraphie : Kim Brandstrup
Costumes : Luis F. Carvalho
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Peter Grimes : Allan Clayton
Ellen Orford : Maria Bengtsson
Auntie : Catherine Wyn-Rogers
Niece I (Nièce I) : Anna-Sophie Neher, soprano
Niece II (Nièce II) : Ilanah Lobel-Torres, Soprano
Balstrode : Simon Keenlyside
Mrs. (Nabob) Sedley (Mrs (Nabob) Sedley) : Rosie Aldridge
Swallow : Clive Bayley
Ned Keene (Keene) : Jacques Imbrailo
Bob Boles : John Graham Hall
Rev. Horace Adams (Le révérend Horace Adams) : James Gilchrist
Hobson : Stephen Richardson
Orchestre de l´Opéra national de Paris
Chœurs de l’Opéra national de Paris
Coproduction avec le Teatro Real Madrid, le Royal Opera HouseCovent Garden London et le Teatro dell’Opera di Roma
Paris, Palais Garnier
Soirée du vendredi 24 février 2023 – 19:30