Opéra | Wagner : Das Rheingold à Bastille

Si vous rechignez devant 14 heures de musique et 4 opéras à voir dans l’idéal en 4 jours, l’Or du Rhin proposé par Bastille en ce moment est fait pour vous.

À l’affiche de manière isolée – les puristes rappelleront que Wagner s’y opposait formellement – il offre cinq ans après l’annulation de la Tétralogie pour cause de Covid un beau résumé de cette dernière. Prélude et quasi acte final, Calixto Bieito nous conduit avec sens des sources du Rhin aux affres du Walhalla, du berceau de la vie au temple de la mort. Noir et grise à souhait, sa mise en scène sert plutôt bien l’histoire, les personnages et le poème de Wagner tout au long des quatre scènes données comme il se doit sans entracte (2h30 de spectacle).

Scène 1 les filles du Rhin plongeuses autonomes nous conduisent assez vite aux sources du fleuve où Helvète rime avec… pépettes. Alberich scotché à ses désirs et de vieux cables est comme une version bêta de l’homme 1.0. La suite est à découvrir qui questionne plus le rôle de l’intelligence artificielle que celui de l’étincelle divine, Wotan inaugurant un palais construit par deux géants de l’informatique plutôt que deux géants tout court. Les personnages fortement caractérisés et leurs relations tout aussi fortes nous tiennent en haleine autant que le poème donc et la musique.

Le plateau homogène est dominé par une Erda – Lemieux qui aiguise à merveille son timbre de contralto pour mieux avertir les dieux. Malgré sa brève apparition le public lui fait un triomphe aux saluts. Triomphe aussi pour Wotan – (Nicholas) Brownlee qui sauve la soirée en remplaçant au pied – et à la lance – levé le titulaire alité pour ne pas dire écarté de la production – au moins pour cette soirée ouverte à l’AROP – après ses déboires à la matinée de dimanche. Ludovic Tézier avait lui sagement déclaré forfait avant. Habitué du rôle à Munich en particulier – les wagnériens vous diront que c’est là qu’on trouve aujourd’hui les Ring les plus justes – même ses déplacements, encore plus hésitants que sa voix, sonnent aussi, justes. En parfaite homothétie avec un Alberich – Mulligan tout aussi bien distribué et salué. Les deux géants évoqués plus haut forment une paire parfaite avec un beau parleur et chanteur au timbre profond et un autre, moins chanteur mais plus décisif. Tout ce qu’il faut pour servir Wagner. On pourrait passer toute la distribution en revue – 15 des 34 personnages du Ring apparaissent dans le prologue – sans relever d’erreur de casting. Et avec le plaisir d’y trouver deux membres de la troupe, belle mise en avant.

Le plaisir vient aussi et surtout de la fosse où le chef Heras-Casado donne aux forces vives de l’orchestre la clarté, la légèreté et la transparence qui rendent le voyage de ce prélude entre les éléments aussi fluide qu’intense, aussi concret que mystérieux. Bravo Maestro !

En résumé une mise en scène qui marche, des personnages qui vivent, un poème et une musique rendus avec justesse. Même si elle n’a eu que les brumes des légendes nordiques, un rapide mais sublime coup d’œil sur le nid d’amour de Wotan avant, la salle calme tout au long de cette charge contre le pouvoir du digital sur l’humain, applaudit comme un seul homme à la fin, sans toutefois se lever. Un signe ? Si les dieux sont tombés sur la tête, ce n’est pas encore le cas du public de Bastille, au moins ce soir.

Production : Opéra National de Paris

Direction d’orchestre : Pablo Heras-Casado

Mise en scène : Calixto Bieito

Distribution

Wotan : Nicholas Brownlee

Loge : Simon O’Neill

Fricka : Eve-Maud Hubeaux

Freia : Eliza Boom

Froh : Matthew Cairns

Donner : Florent Mbia

Erda : Marie-Nicole Lemieux

Alberich : Brian Mulligan