Pour son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris, « la grande boutique » confie les clés de la production de cette œuvre majeure de la fin du XXème siècle à Valentina Carrasco. Un succès tant la proposition de la réalisatrice argentine (qui s’était révélée avec la m e s de La Favorite récemment à Bordeaux) regorge d’inventivité. Pour illustrer cette rencontre historique entre Nixon et Mao en 1972, c’est la diplomatie du ping-pong (on l’avait appelée ainsi à l’époque) qui est retenue comme fil rouge (et bleu !) de la scénographie. De l’ouverture qui commence par une partie de tennis de table au ralenti entre l’aigle (bleu) et le dragon (rouge) avant que l’ensemble du plateau ne soit rempli de tables ou s’affrontent les choristes (rouge contre bleu), jusqu’au final où les tables emplissent l’espace dans un désordre savamment orchestré, la symbolique est omniprésente. Nous aurons droit à une hilarante partie entre Mao et Kissinger en milieu de spectacle et à une magnifique averse de neige où les flocons sont des balles de ping-pong pendant la visite de Pat Nixon dans la campagne chinoise. La réalisation de Carrasco oscille tout au long de la représentation entre fable drôlatique (spectaculaire arrivée des américains sur le tarmac, non pas à bord de l’avion présidentiel mais d’un immense aigle d’argent aux yeux de laser, balle au prisonnier entre le premier ministre chinois et Kissinger où le ballon est un globe terrestre, visite de la ferme des cochons de Pat …) et dénonciation politique des deux systèmes – principalement le chinois avec la salle de torture sous les appartements de Mao pendant qu’est brulée toute la littérature occidentale et la répression durant la révolution culturelle où seul prévaut le petit livre rouge. Et finalement, au-delà d’une certaine poésie qui émane globalement de la m e s, une réflexion plus profonde sur deux visions des superpuissances au service de la volonté hégémonique de leurs dirigeants au détriment des masses. Le casting est parfait : côté américain Joshua Bloom campe un Kissinger belliqueux et caricatural, à la voix de basse profonde et puissamment projetée. Thomas Hampson est un Nixon fragile, scéniquement très crédible. Le timbre est net, l’amplitude un peu limitée mais compensée par une technique vocale irréprochable. Quant à la légendaire Renée Fleming, le poids des âges ne l’atteint nullement. L’aigu est toujours aussi souple, les legato magnifiques et la tessiture très large. Elle joue une Pat Nixon naïve, attentive et dévouée à son époux. En face, John Matthew Myers incarne un Mao ressemblant, faiblissant mais pas encore cacochyme. Voix bien timbrée, projection rectiligne, aigus sonores : sa première apparition à Paris est un succès. Son premier ministre Xiaomeng Zhang se révèle également magnifiquement, avec son instrument puissant et sa prestance pleine d’autorité. Quant à Kathleen Kim dans le rôle de la femme de Mao fanatique, elle éclabousse Bastille de son talent. L’aigu de la colorature est surpuissant mais parfaitement équilibré, le vibrato bien maitrisé et la présence scénique pleine d’autorité. Dans la fosse, Dudamel conduit avec une précision diabolique son orchestre de l’Opéra de Paris. La partition est magnifique, rassemblée autour des cordes et des bois (il n’y a presque aucune percussion). Les chœurs sont à l’unisson et le spectacle longuement applaudi par une salle finalement bien remplie. Une belle découverte pour cette soirée très réussie.
Nixon in China
John Adams
Chef d’orchestre Gustavo Dudamel
Mise en scène Valentina Carrasco
Chef de choeurs Chin-Lien Wu
Décors Carles Berga, Peter van Praet
Costumes designer Silvia Aymonino
Lumières Peter van Praet
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Richard Nixon (Nixon) Thomas Hampson
Pat Nixon (Patricia Nixon) Renée Fleming
Zhou En Lai (Premier Chou En Lai) Xiaomeng Zhang
Mao Zedong (Mao Tse-tung) John Matthew Myers
Henry Kissinger (Kissinger) Joshua Bloom
Nancy Tang (1. Secretary) Yajie
2. Secretary (Second Secretary) Ning Liang
3. Secretary (Third Secretary) Emanuela Pascu
Chiang Ch’ing Kathleen Kim
Orchestre de l’Opéra national de Paris
Chœurs de l’Opéra national de Paris
Paris, Opéra Bastille – Mercredi 29 mars 2023, 19:30