Le trio Salque-Génisson-Lazar triomphe au Festival du Bruit qui Pense

Le Beethoven qui ouvre le concert du soir (hier) au Festival que dirige Ingmar Lazar, est un Beethoven rare. Nous sommes en 1815. Depuis 3 ans le musicien de Bonn vit une période sombre. Malade, tourmenté, il ne compose plus. Et puis, deux sonates pour violoncelle et piano viennent rompre ce silence, comme un retour aux sources et un dialogue intime. Beethoven dédie ces sonates à sa confidente et proche amie, la comtesse Maria von Erdödy. Sa musique salue aussi ses maîtres Haydn et Mozart sans oublier – il est encore et toujours Beethoven ! – d’explorer de nouveaux chemins. Comme avec ce violoncelle du 2ème mouvement de la n°5 que nous entendons ce soir, et l’allegro fugué du 3ème. Le passé et le futur cohabitent. La critique de l’époque est perdue. Elle attendra de nouvelles œuvres… et nous, nous régalons à l’écoute du duo complice, sensible et parfait réuni ce soir. 25 ans ont passé, Beethoven est mort. Mendelssohn lui a 33 ans. Il est au sommet de son art et s’attaque à un genre très prisé à l’époque, les variations pour piano. Il en écrit 3 cycles et il appelle le 1er “Variations sérieuses”. Il entend se démarquer des variations brillantes, le lot commun de son temps. Le thème principal, magnifique et tenu tout au long des variations, est en effet assez sérieux. Presque tourmenté. Comme Mendelssohn face aux contraintes que Frédéric Guillaume IV le nouveau roi de Prusse lui impose alors pour produire les musiques de scène d'”Antigone” et du “Songe d’une nuit d’été”. Ce chef-d’œuvre du piano romantique achevé en 1841 fait lui aussi le pont entre passé et futur. On y entend l’écho des “Variations Goldberg” de Bach, des “Diabelli” de Beethoven et l’annonce de celles de Brahms, à venir. On les édite dans un recueil mêlant plusieurs compositeurs et dont les bénéfices serviront à ériger à Bonn un monument à la mémoire de Beethoven. Clara Schumann sera la 1ère et fidèle interprète de ces Variations. Ce soir, nous les entendons sous les doigts d’Ingmar Lazar au piano. Pur, intense et limpide. Le génie de Mendelssohn et la salle Camille Saint-Saëns remplie sont bien servis !

Bach, qu’on a évoqué plus haut, Beethoven, qu’on a pu apprécier en 1ère partie, forment avec Brahms les trois B. Est-ce ce voisinage qui fait qu’on a parfois tendance à croire la musique de Brahms trop… sérieuse ? Brahms écrit son Trio pour clarinette en 1891 alors qu’il avait décidé de renoncer à la composition. C’est par amitié, par amitié et par inspiration, qu’il revient sur sa décision et ouvre le cycle de ses plus belles pages. 10 ans plus tôt, Brahms a fait la connaissance de Richard Mühfeld, le clarinettiste de l’orchestre de Meinigen. Son jeu l’a conquis. Si on mariait trois instruments aux timbres très différents mais qui s’accordent subtilement, la profondeur du violoncelle, l’élégie de la clarinette et le parfait équilibre du piano ? Le défi inspire Brahms qui va aussi marier le classicisme de la forme et la richesse de ses thèmes. Le rythme et la mélancolie. Le chambrisme et la virtuosité. Créé le 24 novembre 1891 par Richard Mühlfeld, le violoncelliste Robert Hausmann – lui aussi virtuose fameux et pilier du Quatuor Joachim – et le compositeur au piano à Meiningen, le trio est rejoué à Berlin le 12 décembre suivant avec un énorme succès. Ce soir, Pierre Génisson remplace Michel Portal que nous souhaitons vite voir rétabli, aux côtés de François Salque et Ingmar Lazar. Le trio nous donne un Allegro en forme de dialogue enflammé, un Adagio, rêveur et sensible, un Andantino grazioso qui invite à la danse et un final Allegro lyrique et passionné. Tout au long de ces quatre mouvements, Brahms, comme les musiciens réunis ce soir, installe dans la forme sonate autant d’émotion, de passion que d’élégance et d’harmonie, jouant avec ses mélodies l’art du contrepoint en particulier au piano. Alors Brahms, trop sérieux ? La réponse du public enthousiaste et des musiciens, à l’unisson est claire, cette phrase de Brahms aussi : « Les passions n’appartiennent pas aux hommes comme des choses naturelles. Elles sont toujours des exceptions ou des exagérations. Celui chez qui elles dépassent les bornes doit se considérer comme malade et songer à un remède pour sa vie et sa santé. » La musique hier soir était bien ce remède. Le trio n’hésitera pas d’ailleurs à augmenter la dose, avec, servi en bis pour deux rappels, un opus 11 de Beethoven jeune et bondissant, joyeux et chantant. Suivi du débat convivial des artistes avec les questions de la salle, autre signature du festival. Un triomphe.

Festival du Bruit qui Pense

Récital violoncelle, clarinette et piano

Vendredi 15 mars – 20H00

Salle Camille Saint-Saëns, Louveciennes

Pierre Genisson (clarinette) – François Salque (violoncelle) – Ingmar Lazar (piano)

Ludwig van Beethoven (1770-1827)

Sonate n°5 pour violoncelle et piano op. 102 n°2

• Allegro con brio

• Adagio con molto sentimento d’affetto — attaca

• Allegro — Allegro fugato

Félix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847)

Variations sérieuses op. 54

Pause

Johannes Brahms (1833-1897)

Trio pour clarinette, violoncelle et piano op. 114

– Allegro alla breve

– Adagio

– Andantino grazioso

– Finale – Allegro

En bis

Ludwig van Beethoven (1770-1827)

Trio avec piano op. 11 n°4

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