Il y a bientôt 150 ans était créée ici même cette œuvre majeure du répertoire, la plus jouée de par le monde ensuite. C’est sans doute ce qui explique cette m.e.s surprenant d’Andreas Homoki qui traite l’action sous forme de retour aux sources. Nous nous retrouvons ainsi à la fin du 19ème siècle, sur une scène de théâtre nue, avec Don José en metteur en scène livret à la main avant la première intervention de chœurs non pas en soldats mais en spectateurs habillés en tenue de soirée (redingote et haut de forme) venus assister au spectacle. L’idée est bonne mais sa construction assez confuse. D’immenses et luxuriants rideaux s’ouvrent et se ferment au fil des scènes pour laisser paraitre les artistes qui déclament leurs airs. Les cigarières sont d’élégantes femmes du monde, et nombres d’arias « cultes » (« l’Oiseau rebelle », le « Toreador » ou « Je dis que rien ne m’épouvante ») sont finalement chantés en bord de scène, devant le rideau baissé, par les solistes baignés de lumineuses poursuites. Seul l’acte 3 (chez les contrebandiers) dispose d’un décor en lien avec l’action. Quant au final, le public qui assiste à la corrida est devenu contemporain. Gageons que pour qui ne connait pas bien l’intrigue, cette proposition laissera des interrogations ! Pour ce qui est du casting, le plateau est de très bonne qualité, les seconds rôles parfaits, menés pour commencer par le Brigadier Moralès de Jean-Christophe Lanièce. Nous passerons rapidement sur le Don José de Frederic Antoun : au fil des scènes, sa voix s’émousse et en effet, après l’entracte on nous l’annonce « indisposé mais qui accepte de terminer le spectacle ». Ce qu’il fera à l’agonie… avec tout de même un sens théâtral bien prononcé. Jean-Fernand Setti est un Escamillo monumental : immense par la taille et doté d’une voix de basse surpuissante qui fera résonner la salle Favart. Un peu en décalage avec l’orchestre lors de son air d’entrée, il se calera par la suite pour une prestation aboutie. La Micaela d’Elbenita Kajtazi est une jolie découverte. Très entreprenante dans sa posture, sa diction est parfaite et elle dispose d’un timbre harmonieux et de jolis aigus qu’elle aura toutefois trop poussés dans son magnifique air chez les contrebandiers au détriment de l’émotion habituellement ressentie lors de ce passage. Elle sera très applaudie au final. Quant à Gaëlle Arquez dans le rôle-titre, elle est sublime et la parfaite incarnation de la Carmen telle qu’on l’imagine : fière, ardente, arrogante et radieuse. Sa plastique sied parfaitement à l’image de la belle andalouse-fatale qui fait perdre la tête à chaque homme qu’elle croise. Vocalement, la mezzo déploie son timbre chaud sur une très large palette. La ligne de chant est pure, les aigus puissamment projetés avec la nuance nécessaire pour rester en harmonie avec l’orchestre, les chœurs et ses partenaires. Assurément une des plus belles Carmen vues depuis longtemps et qui vaut à elle seule largement le spectacle !! Louis Langrée dirige avec fougue l’orchestre des Champs-Elysées, avec une ouverture lancée au pas de charge et une partition dirigée en belle harmonie avec chœurs et solistes. En ce soir de première, la soirée aura été très longuement ovationnée par le public enthousiaste d’une salle comble.
Carmen, opéra de Georges Bizet
Livret : Meilhac et Halévy d’après Mérimée
Direction d’orchestre : Louis Langrée
Mise en scène : Andreas Homoki
Décors : Paul Zoller
Costumes : Gideon Davey
Lumières : Franck Evin
Direction de choeur : Christophe Grapperon
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Carmen : Gaëlle Arquez
Don José : Frédéric Antoun
Escamillo : Jean Fernand Setti
Micaëla (Micäela) : Elbenita Kajtazi
Zuniga : François LIS
Moralès : Jean-Christophe Lanièce
Frasquita : Norma Nahoun Soprano
Mercédès : Aliénor Feix Mezzo-Soprano
Le Dancaïre : Matthieu Walendzik
Le Remendado : Paco Garcia
Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique / Chœur de chambre Accentus / Opéra de Rouen Normandie
Paris, Opéra Comique – Page officielle – Salle Favart – Soirée du lundi 24 avril 2023, 19:30