Pour l’entrée au répertoire de l’Opéra de Paris de l’avant-dernier (rare et méconnu) opéra de Vincenzo Bellini, l’ONP fait appel à Peters Sellars pour la mise en scène et c’est peu dire que sa proposition est discutable. Le décor, unique tout au long du spectacle, est principalement composé d’un jardin à la française en métal vert qui emplit, tel un labyrinthe, l’essentiel de la scène et laisse très peu d’espace aux protagonistes pour se mouvoir. De fait, les chœurs sont placés de façon invisible au début du programme sur des échafaudages en fond de scène, puis dans les travées des balcons au final ! Les quatre solistes principaux viennent ainsi régulièrement déclamer leurs airs en bord de scène, sur une bande d’un mètre de large quand ce n’est pas sur un promontoire côté cour. L’action est transposée dans une époque contemporaine : les documents subtilisés à Béatrice par la jalouse Agnese contenus dans le disque dur d’un PC, la garde de Filippo habillée en bombers et armée de kalachnikovs, Agnese suivant le jugement du concile en visio… La majeure partie du spectacle est mise en lumière par un vert agressif, qui se transforme en rouge sang écarlate (d’un bien meilleur effet) au moment des séances de torture d’Orombello et Béatrice. On sent bien la volonté de Sellars de dénoncer l’autoritarisme et la violence au service des ambitions politiques ainsi que la soif du pouvoir (un des thèmes centraux de l’œuvre, auquel se rajoute celui de la jalousie) mais les ficelles sont trop grosses et malheureusement inappropriées. Heureusement, les voix sont là pour sauver la soirée ! En premier lieu, celle de Tamara Wilson dans le rôle-titre. La volumineuse soprano américaine se tire avec virtuosité d’une partition difficile. Très agile dans ses vocalises, dotée d’une technique de souffle implacable, ses aigus emplissent la vaste salle de Bastille – même si elle ne prend guère de risque dans les extrêmes. L’excellent Pene Pati campe un Orombello à la voix chaude et joliment timbrée. Son medium est solaire. Son retour sur scène après la terrible séance de torture qu’il a endurée, couvert de sang, aveugle, tremblant et ne tenant plus sur ses jambes est très crue – à la limite du malaisant ! Theresa Kronthaler en Agnese dispose également d’un instrument limpide. Ses legato sont parfaitement assurés, ses trilles délicats ; son dernier air (celui du pardon) s’avère touchant. Enfin, petite déception avec Quinn Kelsey qu’on a vu plus fringant. Le baryton dispose certes d’une large palette et de moyens puissants mais il est parfois couvert par l’orchestre, et peu à son avantage dans les duos avec Tamara. Les belcantistes sont donc à l’honneur tout comme les splendides chœurs, en parfaite harmonie avec la fosse tenue par un Mark Wigglesworth efficace et qui maitrise bien sa partition. En ce soir de dernière, le public d’une salle loin d’être comble applaudira chaleureusement les artistes. Pour ma part, la soirée ne sera pas inoubliable mais tout de même réussie sur le plan lyrique.
Beatrice di Tenda
Vincenzo Bellini (1801-1835)
Tragedia lirica in due atti di Felice Romani
Production : Opéra national de Paris
Direction d’orchestre : Mark Wigglesworth
Mise en scène : Peter Sellars
Distribution
Filippo Maria Visconti : Quinn Kelsey
Beatrice di Tenda : Tamara Wilson
Agnese del Maino : Theresa Kronthaler
Orombello : Pene Pati
Anichino : Amitai Pati
Rizzardo : Taesung Lee
Équipe artistique
Direction de choeur : Chin-Lien Wu
Décors : George Tsypin
Costumes : Camille Assaf
Lumières : James F. Ingalls
Dramaturgie : Antonio Cuenca Ruiz
Ensemble
Orchestre de l’Opéra national de Paris
Chœurs de l’Opéra national de Paris
Coproducteur
Paris, Opéra Bastille – Soirée du jeudi 7 mars 2024