Coproduite avec l’Opéra du Capitole de Toulouse, cette mise en scène du chef-d’œuvre de Modeste Moussorgski par Olivier Py nous laisse quelque peu sur notre faim. Avec une volonté marquée d’entrer en résonnance avec les évènements politiques du moment en Russie et par-delà de condamner excès d’ambitions politiques, manœuvres fallacieuses, trahisons et coups bas conduisant au pouvoir suprême et au totalitarisme, la proposition scénique devient proche de la caricature. Soldats en treillis kalachnikov à la main, décors d’immeubles délabrés – ceux de l’Ukraine dévastée ? -, portraits de Staline et Poutine se faisant face jusqu’au jeune tsarévitch jouant avec une grande planisphère gonflable tel Chaplin dans Le Dictateur : certains tableaux ont un air de déjà-vu. Heureusement, d’autres sont nettement plus réussis, comme la (magnifique) scène du couronnement de Boris où les choristes, somptueusement vêtus de parures d’or sont placés dans des alcôves dorées du palais sur trois niveaux. De mêmes, l’habile mise en lumière du spectacle qui permet d’accaparer l’œil pendant les deux heures de la représentation. C’est surtout le coté lyrique qu’on retiendra, avec un casting de très bonne qualité, au premier rang duquel émerge dans le rôle-titre Alexander Roslavets, une belle découverte. La basse est puissante et profonde, avec une ligne de chant très rectiligne et un sens des nuances bien affirmé. Excellent comédien, il parvient à caractériser un Boris arriviste qui peu à peu, accablé par le remord sombrera proche de la folie. Dans le rôle de Pimène, l’ermite ayant mis au jour les forfaits de Boris, l’excellent Roberto Scandiuzzi déploie ses moyens puissants et dispose d’une tessiture étendue conférent à son chant de multiples couleurs. Marius Brenciu campe un Chouiski trouble. Le timbre est clair mais la portée juste suffisante pour une enceinte comme celle du TCE. On retiendra également le désormais bien connu Mikhail Timoshenko en Chtchelkalov et sa voix bien timbrée, tout comme Yuri Kissin en Varlaam et sa bien réussie chanson de Kazan. Enfin, l’Innocent de Kristofer Lundin, curieusement accoutré comme un clown blanc mais dont l’air du troisième sera empreint d’émotion – ce dont feront défaut d’autres scènes clés du spectacle. Les chœurs de l’Opéra du Capitole seront les grands triomphateurs de la soirée, précis, puissants et en belle harmonie avec l’Orchestre National de France, sous la baguette inspirée de Gabriel Bourgoin. Un spectacle discutable sur le plan scénique mais très réussi sur ses aspects lyriques et musicaux, et finalement copieusement acclamé par une salle comble.
Boris Godounov (1872)
Modeste Moussorgski
Producteur : Théâtre des Champs-Elysées
Direction d’orchestre : Andris Poga
Mise en scène : Olivier Py
Distribution
Boris Godunov (Boris Godounov) : Matthias Goerne
Fyodor (Fiodor) : Victoire Bunel
Kseniya (Xénia) : Lila Dufy
Mamka Kseniyi (La Nourrice de Xénia) : Svetlana Lifar
Knyaz Vasiliy Shuysky (Le Prince Vassili Chouïski) : Marius Brenciu
Andrey Shchelkalov (Andreï Chtchelkalov) : Mikhail Timoshenko
Pimen (Pimène) : Roberto Scandiuzzi
Samozvanets pod imenem Grigoriya (Grigori Otrepiev) : Airam Hernández
Varlaam : Yuri Kissin
Misail (Missaïl) : Fabien Hyon
Hozyaika korchmy (L’hôtesse de l’auberge) : Sarah Laulan
Yuródivïy (L’innocent) : Kristofer Lundin
Nikitich (Un officier de police) : Sulkhan Jaiani
Mityukha (Mitioukha) : Barnaby Rea
Équipe artistique
Décors : Pierre-André Weitz
Costumes : Pierre-André Weitz
Lumières : Bertrand Killy
Direction de choeur : Gabriel Bourgoin
Ensembles
Chœur de l’ Opéra national du Capitole
Coproduction
Opéra national du Capitole, Orchestre National de France
Paris, Théâtre des Champs-Elysées – Soirée du mercredi 6 mars 2024