Il est dans les productions d’opéra des transpositions évidentes, et d’autres nettement plus discutables. C’est assurément dans cette seconde catégorie que se situe la proposition de Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeul qui choisissent de situer l’action dans le cadre sportif de la danse aquatique. De fait, la poésie et l’onirisme qui habitent cette œuvre disparaissent au profit de messages (certes dans l’air du temps) résolument féministes, dénonçant la condition des sportives obligées de privilégier leur beauté plastique et soumises au coaching viril de leur entraineur. Ainsi, mis à part quelques projections vidéos, point de lac mystérieux, de forêt bucolique et de palais princier mais une piscine olympique et ses gradins qui seront le théâtre de la dramaturgie au long des trois actes du spectacle. L’esprit des eaux, père de l’ondine Rusalka (sirène souhaitant devenir humaine pour emporter l’amour du prince) est incarné par un sosie vulgaire de Philippe Lucas, la sorcière Jezibaba est un agent d’entretien de la piscine, seau et serpillière à la main et le prince, un play-boy indélicat, qui ira jusqu’à violer sa sirène au final avant de lui implorer son pardon. Cette m e s nous laisse sceptique, même si on peut en comprendre le message. Le décor est plutôt spectaculaire et réussi, les costumes d’une grande diversité allant de simples maillots de bain et peignoirs à de jolies robes – fourreaux pour la princesse étrangère ou pailletées pour Rusalka. Le casting est inégal : chez les hommes, Wojtek Smitek campe un Vodnik rude et sévère : la basse est pure mais manque quelque peu d’ampleur. Tomislav Muzek est un prince emprunté, ténor à la portée insuffisante – totalement écrasé lors du joli duo avec la princesse étrangère. C’est nettement plus réussi côté féminin, même si en Jezibaba, Conelia Oncioiu est également un peu légère dans sa projection. Magnifique prestation en revanche d’Irina Stopina, princesse étrangère altière, dont les aigus filés emplissent aisément toute la salle. La tessiture est large, les legato bien assurés. Avec sa plastique avantageuse, elle rayonne sur scène et sera chaleureusement applaudie aux saluts. Enfin dans le rôle-titre, jolie découverte que celle d’Ani Yorentz. La soprano arménienne dispose d’une palette complète. Les aigus claironnent sans faiblir, le medium est chaud et coloré. Sa présence scénique est remarquable, elle chante parfois dans des positions acrobatiques sans difficulté et parvient à émouvoir en ondine éperdue. Les seconds rôles sont de bonne qualité, notamment les trois nymphes en maillot une pièce. Avec une direction musicale au cordeau de Domingo Hindoyan qui tire admirablement partie d’une merveilleuse partition (où chaque pupitre est à l’honneur, notamment la harpe, les bois et les cors), la soirée reste une réussite et sera ovationnée, en dépit des réserves qu’on peut émettre sur la proposition.
Rusalka, opéra
Compositeur : Antonín Dvořák
Livret (en tchèque) : Jaroslav Kvapil
Première interprétation en public : 31 mars 1901, Prague, Tchéquie
Création : 31 mars 1901; Prague, Tchécoslovaquie
Direction d’orchestre : Domingo Hindoyan
Mise en scène : Olivier Deloeuil, Jean-Philippe Clarac
Distribution
Hajný : Fabrice Alibert
Princ : Tomislav Mužek
Cizí kněžna : Irina Stopina
Vodník : Wojciech Śmiłek
Ježibaba : Cornelia Oncioiu
První žínka : Mathilde Lemaire
Druhá žínka : Julie Goussot – Soprano
Třetí žínka : Valentine Lemercier
Lovec : Fabrice Alibert
Kuchtík : Clémence Poussin
Rusalka : Ani Yorentz Sargsyan
Équipe artistique
Décors : Olivier Deloeuil, Jean-Philippe Clarac
Costumes : Olivier Deloeuil, Jean-Philippe Clarac
Lumières : Rick Martin, Christophe Pitoiset
Video : Timothé Buisson, Pascal Boudet
Direction de choeur : Salvatore Caputo
Dramaturgie : Luc Bourrousse
Assistant Mise en Scène : Lodie Kardouss
Assistant Chef d’orchestre : Hannah von Wiehler
Maquillage : Annie Senrems Lay Bardon
Orchestre National Bordeaux Aquitaine
Choeurs de l’Opéra National de Bordeaux
Coproduction Opéra National de Bordeaux, Opéra Grand Avignon, Opéra de Marseille, Opéra Nice Côte d’Azur, Opéra de Toulon
Bordeaux, Grand Théâtre de Bordeaux – Matinée du 12 décembre 2023