La scène et la salle sont dans le noir, une voix pointe derrière le rideau. Un homme. Sa femme s’apprête pour la messe de Minuit. L’homme n’y va pas, il la salue. Des cloches sonnent : sur terre, on aime bien faire parler les dieux. Rideau levé, l’homme est seul sur la scène. Ses livres de chevet, son courrier, la lampe près du fauteuil et la table basse, le piano et ses partitions choisies seront les compagnons de sa dernière nuit de Noël. Nous sommes à Vézelay à l’hiver 1944. Et Romain Rolland n’a plus que 6 jours à vivre.
Pour certains – les héros ? – c’est quand la raison a tout pour vaciller qu’elle se fait plus forte. Plus forte et pénétrante pour qui ose et sait l’entendre. Romain Rolland fait partie de ceux-là. Ses Lettres de Vézelay en témoignent. Elles inspirent et nourrissent la pièce de Michel Mollard et son pari qu’on aurait pu croire insensé : unir un puissant monologue et un pilier du catalogue pour piano, en une partition unique confié au seul et même artiste. Pari ô combien réussi avec ce seul-en-scène qui fera date.
La langue et l’esprit de l’écrivain français éclairent toute la soirée, sobre, intense et précise, comme la mise en scène de François Michonneau. Les mouvement, les lumières, les gestes, attitudes et regards nous plongent aussi bien dans l’homme devant nous que dans l’histoire et ses figures, les plus grandes ou moins connues. La double performance, acteur-pianiste, de Guilhem Fabre époustoufle, transporte et régale. “Personne n’est à la fois Gérard Philippe et Wilhelm Kempf” me souffle à la sortie un ami, musicien lui aussi, avant d’avouer que ce qu’il a vu ce soir n’est pas loin de l’en faire douter.
Entendre l’opus 111 après un tel texte n’est plus l’entendre, c’est le vivre. Le silence de la salle en témoigne. Royal depuis le début de la pièce, il se poursuivra bien après les dernières notes confiées au piano par Beethoven et son interprète du soir. Précis, sobre, vif, sa poésie tour à tour étend l’horizon, nous enveloppe et nous pénétre. Une vision ample et profonde éclaire aussi et s’impose, d’un bout à l’autre, y compris avec ce long silence avant l’arietta. Chaque intention que le texte suggérait, renaît sous les doigts parfaits. L’œuvre se livre, on s’y glisse, on y trouve et embrasse les pensées de l’écrivain et du musicien, et leur foi commune dans la raison, la liberté et l’engagement. On ressort de la pièce avide de lire le Prix Nobel, son Jean-Christophe ou justement, ses Lettres de Vézelay. Et puis de réécouter l’opus 111. On l’a entendu comme jamais, on ne l’écoutera plus comme avant. On sait pour l’avoir vécu que le Verbe présent au commencement l’est aussi à la fin, derrière ces Dernières Notes. Courez-y vite, il ne reste plus que 7 dates.
Dernières notes
La dernière soirée de Romain Rolland
De Michel Mollard
Mis en scène par François Michonneau
Avec Guilhem Fabre
Production : MM Arts
Paris, Studio Hébertot, Bérengère Dautun, direction, Sylvia Roux, direction artistique
Soirée du jeudi 12 octobre 2013, 19:00